Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Premier regard sur la loi sur les communes

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2273 21 février 2025

Une révision complète de la loi sur les communes est en consultation jusqu’au 31 mars. Le Conseil d’Etat défend la «réforme d’envergure» d’une loi entrée en vigueur en 1956. Bien qu’elle ait connu trente-six modifications, il insiste lourdement dans son rapport explicatif sur le prétendu décalage qu’il y aurait désormais entre le Canton d’alors et celui d’aujourd’hui.

Le Gouvernement prétend y dépeindre la commune vaudoise de 2030 ou 2040. Dans un Canton à près d’un million d’habitants, les tâches attendues des communes seront «toujours plus importantes». Entre Infrastructures, police des constructions, aménagement du territoire et expectatives d’une population de plus en plus revendicatrice, les «défis» qui se présenteront à elles mettraient leur autonomie à rude épreuve. Seules des communes disposant «des outils et des ressources nécessaires» seraient à même de demeurer réellement autonomes.

Comment se doteront-elles de ces outils? Par la contrainte. Le Conseil d’Etat veut imposer aux communes de pouvoir compter sur une administration professionnelle. Chaque commune devra disposer d’un secrétaire municipal, d’un boursier et d’un service de l’urbanisme – ou les mutualiser dans un «pôle administratif au service de plusieurs communes». La loi fixera le pourcentage du taux d’activité minimal de chacun des membres de ces noyaux d’administrations communales.

Chaque Municipalité devra établir et publier un programme de législature. Le département en fixera le contenu minimal. Le Gouvernement déplore que «dans les plus petites communes, l’administration communale se limite parfois à une gestion des affaires courantes». Par ce programme, les Municipalités devront, de législature en législature, se pencher sur l’intercommunalité comme moyen de mener leurs politiques publiques et «respectivement examiner dans quelle mesure une fusion peut être envisagée». Les communes de moins de 3'000 habitants sont explicitement en ligne de mire.

L’un des buts avoués de la réforme est de pousser les petites communes à la fusion. Contrairement à la loi actuelle, le projet répète le mandat que la Constitution donne à l’Etat d’encourager les fusions de communes1. Le premier paragraphe du rapport contient cette phrase: «Aujourd’hui, le Canton de Vaud comprend (encore) 300 communes pour 850'000 habitants.» Cet emploi dédaigneux de la parenthèse est assez ridicule dans un document officiel. Il donne malgré tout le ton du projet.

La réforme est fondamentalement étatiste. L’idée sous-jacente au concept de «taille critique» est que la couverture du Canton en services publics devrait être parfaitement homogène et égalitaire. Qu’il s’agisse de politique scolaire ou de façonner les communes, la rengaine n’a fait que s’amplifier en cinquante ans. Il faudrait que la même offre soit simultanément proposée à tous les Vaudois. Et surtout avec un niveau de finesse procédurale permettant d’éloigner l’ombre du Tribunal cantonal.

Le Conseil d’Etat présente cette dynamique comme nécessaire au nom d’une prétendue inéluctable complexification de la société. On ne peut évidemment la contester. Mais on peut aussi s’en prendre à ses causes et refuser la fuite en avant. Les besoins en services communaux d’urbanisme répondent aussi à une administration cantonale tatillonne mettant des mois à arbitrer les divergences entre ses services. Les interminables formulaires d’annonces de manifestation POCAMA pourraient servir à autre chose qu’à anticiper les décibels diffusés à la soirée annuelle du FC Prévonloup. Et que dire de l’obsession de la croissance démographique, exigeante en personnel et créatrice de nouveaux problèmes?

Le Canton est divers: dans son histoire, ses paysages, son économie. Cette diversité ne disparaîtra pas. Lausanne aura toujours son opéra, ses toxicomanes et ses pendulaires. La gare de Vufflens-la-Ville sera toujours trop loin du village. Les Clées seront toujours belles – et donc au cœur de l’attention du Service des monuments historiques – et au fond d’un vallon. Toutes les politiques publiques inscrites dans un programme de législature ne feront jamais qu’émousser ces différences matérielles.

En revanche, à force d’oublier que les communes sont des communautés humaines avant d’être des processus administratifs, le Conseil d’Etat leur fait encore plus perdre leur âme. Les conflits interpersonnels s’aggravent; c’est vrai. Et les municipaux sont las de jouer les arbitres. Mais dans des communes à 3'000 habitants, encore plus anonymes, les derniers scrupules des habitants à déposer une plainte ou une opposition s’envoleront définitivement.

En cas de votation, «Des communes fortes dans un Canton fort» sera très probablement le slogan des partisans du projet. Ne devrait-ce pas plutôt être «des communes alourdies dans un Canton obèse»?

Notes:

1   Art. 78 avant-projet de loi sur les communes et art. 115 Constitution du Canton de Vaud.

À stratégie facultative, programme obligatoire

«A nouveau, la loi sur les communes ne peut guère forcer les membres des Municipalités à se réunir autour des visions stratégiques et à mener des politiques publiques à long terme. En revanche elle peut insuffler cette envie en rendant les programmes de législature obligatoire.» (Rapport explicatif à l’avant-projet de loi sur les communes, p. 8, ad. Art. 14 «Programme de législature»)

Le Conseil d’Etat peut utiliser les mots qu’il veut. Rendre obligatoire l’adoption d’un programme de législature revient à imposer une vision stratégique, qui plus est lorsque la trame en est décidée par le Château. Cela suscitera surtout, dans nos petites Municipalités, une course à l’échalotte vers l’inutile fausse bonne idée, dispendieuse en temps et en argent public. Le dynamisme démocratique aura bon dos.

Cet article est disponible en version audio (podcast) au moyen du lecteur ci-dessous:

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*



 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: