L’économie vertueuse
La présente crise liée au confinement imposé à la plupart des habitants de notre planète a démontré pour la première fois de manière évidente les effets néfastes des excès de la mondialisation, même au niveau macroéconomique, même pour un pays développé et exportateur comme la Suisse.
Pour les générations nées après 1980, auxquelles la mondialisation était présentée, si ce n’est comme l’aboutissement de l’Histoire, au moins comme le seul idéal d’organisation économique, cette crise pourrait être l’occasion de découvrir certaines vertus tombées en désuétude dans les rapports commerciaux.
La prudence: la gestion des stocks est devenue l’art de la reporter sur ses sous-traitants, exigeant des délais de livraisons qui confinent à l’instantané, afin de ne payer que les biens déjà revendus plus loin. L’optimisation de la production impose de se concentrer sur son activité principale, en déléguant toutes les tâches à faible plus-value, quand ce n’est pas l’entier de la production, à des sous-traitants dont les marges seront toujours plus serrées, jusqu’à ce qu’une seule entreprise finisse par pouvoir fournir un certain composant.
La loyauté: la théorie libérale voyant dans la concurrence une condition d’efficience des marchés, les lois prohibent les ententes entre entreprises d’un même secteur (cartels verticaux et horizontaux) ou imposent aux adjudicateurs étatiques et subventionnés d’avoir des procédures aussi ouvertes que possible pour l’adjudication des marchés publics à l’offre la mieux-disante (souvent la moins chère), une présence locale ou un long historique de travail commun ne pouvant la justifier.
Pourtant, les rapports commerciaux ne sauraient être fondés uniquement sur l’avantage purement financier, voire spéculatif, de chacun. En fait, les deux parties doivent avoir un intérêt économique commun à l’exécution parfaite du contrat. En travaillant régulièrement avec le même établissement, une entreprise sait à quelle qualité elle peut s’attendre, elle peut faire confiance à l’expérience commune bâtie ensemble. En cas de difficultés, en particulier de circonstances imprévues, les partenaires chercheront une solution pragmatique pour maintenir la stabilité et la sécurité de leurs relations, alors que le cocontractant de circonstance n’hésitera pas à vendre les masques commandés en urgence à un autre concurrent plus offrant.
Cette stabilité des relations commerciales n’a pas qu’une valeur économique, elle a une valeur sociale. Le rôle social de l’économie est d’abord de créer de la valeur. Le profit est une condition de survie, non seulement pour l’individu, mais aussi pour l’Etat qui le taxe, et globalement pour la collectivité, pour la nation, qui ne saurait perdurer grâce à une politique sanitaire, une culture, une civilisation brillante, si l’économie s’effondre.
Le profit est une condition certes nécessaire, mais pas suffisante, et l’entreprise doit également poursuivre comme but d’inspirer à ses partenaires, à ses employés, à ses bailleurs de fonds, une confiance liée à la qualité de ses produits, à la stabilité de ses engagements, à la constance de sa politique du personnel. Cette confiance constitue un avantage y compris économique pour l’entreprise. Elle permet de justifier ses prix auprès des clients, d’attirer et de retenir les meilleurs employés, de s’attacher les fournisseurs les plus fiables. Ainsi, par la stabilité de ces relations, une forme de communauté, certes restreinte mais bien réelle, fleurit, renforce la force du corps social et participe au bien commun.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Flux tendu… vers quoi? – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Pendereckiego Pasja według Św. Łukasza, genialna muzyka! – Jean-Blaise Rochat
- Confinement et désespoir – Jacques Perrin
- On nous écrit – On nous écrit, Jean-François Cavin
- Le rôle des associations professionnelles – Lionel Hort
- La Plateforme: une tour d’horizon du capitalisme – Simon Laufer
- L’école des confinés – Emeline Prim
- Rentrée parlementaire: déconfiner aussi les lois – Félicien Monnier
- Occident express 58 – David Laufer
- L’informatique, ce truc de vieux – Le Coin du Ronchon