Un démocrate
Il y a trois genres de régime politique: celui d’un seul, la monarchie; celui des meilleurs, l’aristocratie; celui du peuple, la démocratie. On peut combiner ces formes pour fonder des régimes mixtes. Tout régime peut mal tourner; la monarchie dégénère en tyrannie, l’aristocratie en oligarchie, la démocratie en ochlocratie (pouvoir de foules agitées). La dictature dans la Rome antique n’a rien de despotique. Le pouvoir est confié à un magistrat unique, pour une durée limitée, quand il faut faire face à un ennemi. Le totalitarisme (nazisme ou communisme) défigure le pouvoir de toutes les manières possibles, anarchique pour commencer, puis despotique et oligarchique, soumettant chacun à la cruauté d’un guide s’appuyant sur une bureaucratie policière tentaculaire.
Comme le savent les lecteurs de La Nation, la Ligue vaudoise s’oppose à la démocratie partisane. Aujourd’hui tout le monde s’affiche démocrate, de l’extrême droite à l’extrême gauche, sauf nous. A nos yeux, il n’existe pas de régime politique universellement parfait; ce sont l’histoire et les mœurs qui déterminent le bon régime pour un territoire délimité, en l’occurrence le Pays de Vaud, Canton souverain au sein de la Confédération helvétique.
Alain de Benoist est un penseur français de bonne tenue, éditorialiste de l’excellente revue Eléments, que les médias courants situent à l’extrême droite, ce qui n’a pas beaucoup de sens.
Dans son éditorial de septembre 2023, Alain de Benoist défend la démocratie. Pour lui, elle est le meilleur régime. Il écrit: La démocratie est aujourd’hui le seul régime possible aujourd’hui. La répétition du mot aujourd’hui nous semble lourde, d’autant plus que l’éditorialiste ajoute peu après que le peuple souverain est le sujet historique de notre temps. La démocratie serait-elle liée à l’époque contemporaine? Pourtant elle a existé à Athènes au Ve siècle avant Jésus-Christ. Le régime de l’avenir ne sera-t-il pas démocratique? Passons.
En démocratie, le peuple institue le pouvoir et établit les lois. Un ensemble de citoyens égaux le compose. L’assemblée des citoyens exprime la volonté collective. Le consentement populaire est l’origine et la limite du pouvoir.
Alain de Benoist mentionne deux critiques faites à la démocratie. La première, à laquelle il ne répond pas, provient des syndicalistes révolutionnaires: la démocratie gomme l’opposition de classes pour établir une paix sociale mystificatrice qui permet d’exploiter la classe ouvrière. Les élections sont un piège à cons. La droite monarchiste revendique la seconde, reprochant à la démocratie d’instituer la loi du nombre comme critère de la vérité politique. La majorité est forcément dans le vrai. Selon l’éditorialiste, cette critique ne vaut pas grand-chose. Le suffrage universel ne statue pas sur la vérité. Ce n’est qu’une technique pour savoir ce que veut la majorité du peuple, pour vérifier l’accord ou le désaccord des gouvernés et des gouvernants.
Le peuple n’est pas une addition hasardeuse d’individus. La démocratie ne dit pas un individu, une voix, mais un citoyen, une voix. La seule égalité qui compte est celle des citoyens. Il s’agit de distinguer qui est citoyen. La démocratie organique (un citoyen, une voix), qu’Alain de Benoist préfère, n’est pas la démocratie libérale (un individu, une voix). Celle-là est rendue possible par l’existence d’une cité ou d’une nation pourvue de frontières qui limitent l’espace démocratique. Les droits du citoyen n’équivalent pas aux droits de l’homme. Alain de Benoist est antilibéral. La démocratie libérale n’est pas la bonne démocratie; ses buts consistent à faire élire des gouvernants, à garantir les droits subjectifs des individus et à respecter des règles favorables au marché, les frontières nationales n’ayant aucune importance. En démocratie organique, l’individu n’est pas le seul sujet de droit. Le peuple est libre et autonome s’il jouit de la souveraineté sur un territoire délimité. L’humanité en tant que telle n’est pas un concept politique. La démocratie privilégie ce que veut la majorité des citoyens; la liberté économique n’est pas la liberté première; le droit de propriété n’est pas illimité.
La crise de la démocratie actuelle est celle de sa version libérale, dominée par des élites financières, internationalistes, qui méprisent les peuples. Le libéralisme a confisqué la vraie démocratie; la démocratie organique s’est effacée devant des oligarques ou des ploutocrates (les très riches, pour rester simple…) qui régentent la plupart des élus censés représenter les électeurs.
Dans un prochain article, nous comparerons la position de l’éditorialiste avec celle de Ludivine Bantigny, historienne marxiste libertaire, qui se réclame aussi de la vraie démocratie.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Les gargouilles ne sont pas républicaines – Editorial, Félicien Monnier
- Droit international: attention! – Jean-François Cavin
- L’amour des lois règne-t-il aussi dans les caravanes? – Lionel Hort
- Esdras et Néhémie sont de retour – On nous écrit, André Durussel
- Lavaux de A à V – Jean-François Cavin
- Double soumission – Olivier Delacrétaz
- Le fédéralisme menacé par le droit international – Xavier Panchaud
- Occident express 130 – David Laufer
- Notre patrimoine bâti – Benjamin Ansermet
- Le Canton contre la cancel culture – Le Coin du Ronchon