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D’abord l’unification ou la nation?

Quentin Monnerat
La Nation n° 2266 15 novembre 2024

C’est le 1er janvier 1979, lors de l’indépendance du Jura, que ma grand-mère a fait la une du journal local, debout sur une fontaine, brûlant un drapeau bernois. Cette image est une anecdote familiale amusante, mais elle est aussi l’expression d’un sentiment de triomphe et d’exaltation qui suit un combat long et difficile, contre un colonialisme culturel mais aussi contre des humiliations violentes.

Après l'annexion de 1815, les fractures religieuses apparaissent d'abord lors de la période du Kulturkampf qui voit les fêtes catholiques supprimées et l'interdiction pour les religieuses d'enseigner. Puis c'est culturellement que le Jura est atteint par l'immigration alémanique qui incite le gouvernement à ouvrir des écoles de langue allemande au mépris de sa minorité. Puis c'est la fracture économique lors de la crise des années 1930, avec un Jura industrialisé qui en subit lourdement les effets et un Canton qui le délaisse. Enfin, l'humiliation de l'affaire Moeckli achève de faire ressentir aux Jurassiens qu’ils ne sont que des citoyens de seconde zone: le Conseiller d’Etat jurassien est refusé à la tête du Département des transport, car ne maîtrisant pas suffisamment le dialecte bernois, bien que maîtrisant parfaitement l’allemand. La simple protection des minorités ne suffit plus. La lutte monte en puissance et en violence avec les attentats du Front de libération du Jura et les actions coup de poing du Groupe Bélier. L’indépendance est finalement obtenue en 1979, mais pour les plus radicaux ce n’est qu’une semi-victoire, car les districts du sud souhaitent rester bernois. Le nouveau Canton est alors une base pour l’achèvement de la réunification.

L'objectif est maintenant d'œuvrer à récupérer les districts du Sud, lutte au cœur de laquelle on trouve le vote du Jura bernois en 2013. Mais ce vote est aussi l'occasion de constater que la question jurassienne s'est figée et que la lutte pour l'unification ne peut plus être appréhendée de la même manière. Dans plusieurs articles du journal Le Jura Libre, Alain Charpilloz porte un nouveau regard sur cette cause et invite à revoir certaines positions militantes radicales pour y apporter de la nuance. Premièrement, il constate que la lutte unioniste n'est plus au goût du jour: la bêtise des autorités bernoises ne suffira pas à provoquer l'unification. Le sentiment identitaire perd en vigueur, et les Jurassiens du Sud continuent de se sentir bernois. Par ailleurs, la centralisation fédérale tend à désintéresser les citoyens des enjeux cantonaux1.

Un autre aspect de la lutte à revoir est celui des relations avec le Jura Sud. «On ne fait pas le bonheur des peuples contre leur volonté.» Par cette maxime, M. Charpilloz ne peut mieux résumer les corrections à apporter dans ces relations. Mettre en avant la nécessité absolue de la réunification par tous les moyens pose deux problèmes; d'abord celui de tendre les relations avec les Jurassiens bernois qui ne souhaitent pas quitter Berne, mais affirmer leur identité au sein de ce Canton; le deuxième problème, découlant du premier, est que cela empêche une collaboration saine entre le Jura et le Jura Sud. En effet, la meilleure façon d’unifier la nation, c’est de tendre la main sans chercher l’intégration à tout prix2.

Cela mène aussi à mettre en avant un autre aspect de la lutte pro jurassienne: les avancées qu'elle a permises non pas uniquement dans le sens de la réunification, mais aussi dans l'intérêt du Jura Sud. M. Charpilloz explique comment le Jura, cherchant à se montrer exemplaire, incite Berne à l'imiter par crainte du sécessionnisme. Ce désir d'imitation n'est certainement pas à confondre avec une volonté d'unification, mais il a le mérite d'éviter la dissolution du Jura Sud dans la masse bernoise et ainsi de servir l'intérêt de tous les Jurassiens3. Dans la même logique, la lutte pour l’unification a maintenu une crainte de la sécession à Berne qui s’est rendu compte que, pour éviter les tendances sécessionnistes, il valait mieux offrir des concessions à sa minorité. La lutte pour l’unification a donc eu des effets protecteurs pour le Jura Sud4.

Il y a probablement plus à gagner à créer un pont par-dessus la frontière à partir duquel aider le Jura Sud à se maintenir, créer des relations étroites de confiance et de solidarité et ainsi œuvrer dans l’intérêt commun des Jurassiens de part et d’autre de cette frontière. Si l'unification n’est plus un objectif atteignable à court terme, c’est probablement de maintenir le Jura Sud au sein de la nation jurassienne qui correspond le mieux à l'intérêt supérieur du Jura en tant que nation.

Notes:

1      Alain Charpilloz, Les illusions à perdre, in Le Jura Libre,14 juin 2024.

2     Alain Charpilloz, Nouvelle donne, in Le Jura Libre, 9 février 2024.

3     Alain Charpilloz, Libération et frustration, in Le Jura Libre, 8 mars 2024.

4     Alain Charpilloz, Pourquoi et pour qui ?, in Le Jura Libre, 23 février 2024.

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