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Un nombre suffisant

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2272 7 février 2025

L’idée d’un Conseil fédéral à neuf membres n’est pas une simple rengaine de député en mal de visibilité. Sa réalisation présente un risque réel.

Isabelle Moret, en 2016, soit une année avant sa tentative infructueuse de rejoindre le collège, en avait fait en vain la proposition. En 2021, le Conseil national avait accepté une initiative parlementaire de la Bernoise Nadine Masshardt allant dans ce sens. Le Conseil des Etats fit barrage, assez massivement.

Au nom de l’apparent faible nombre de candidats à la succession de Viola Amherd, la Genevoise Delphine Klopfenstein-Broggini a relancé l’idée. Le motif, conjoncturel, ne nous paraît pas très convaincant. Il ignore ce vieux principe qui veut que, dans la course au Conseil fédéral, le premier qui bouge a perdu, et que les jeux ne sont faits qu’au jour du vote. Les précédentes élections, notamment celle en vue du remplacement d’Alain Berset, n’ont pas manqué de prétendants.

Les partisans avancent divers arguments. Les plus démocrates veulent un Conseil fédéral plus représentatif: des sexes, des régions linguistiques, des intérêts, des générations. D’autres jouent les historiens et considèrent un collège à sept membres comme inadapté aux colossales exigences qu’imposerait désormais  la politique fédérale. On pointe la charge de travail, le gonflement continuel de l’administration, la dilution de responsabilité qu’elle provoque. L’époque de Druey serait révolue. Sous Minger, un Messerschmitt était plus simple à acheter (et à réparer) qu’un F-35 sous Amherd. C’est probable.

Cet argument, séduisant au premier abord, est le plus intéressant car le plus dangereux. Il interroge la nature et le rôle du Conseil fédéral. Indirectement, il a trait à la fonction de la Confédération. En 2022, Mme Lisa Mazzone avait d’ailleurs tenté une comparaison internationale pour justifier son soutien à une telle réforme. Il est vrai que le gouvernement suisse est l’un des plus petits au monde. Le nouveau cabinet de Donald Trump réunit 15 membres sans compter le Vice-Président, le Gouvernement de sa gracieuse Majesté 21 ministres, et le Gouvernement Bayrou, avec les ministres délégués, 35 personnes. De remaniements en élections, ces chiffres fluctuent. En creux, Mme Mazzone identifiait une particularité helvétique.

La Constitution fixe elle-même le nombre de conseillers fédéraux. Cet élément est en réalité plus intéressant que le nombre de conseillers fédéraux lui-même. Chez nous, des circonstances particulières ne permettraient pas de créer de nouveaux postes de ministres.

Augmenter leur nombre pour épouser la taille et les tâches de l’administration reviendrait à prendre acte du gonflement continu des compétences fédérales, particulièrement accéléré depuis les années 1980. La plus grande diversité des profils et des origines qu’offriraient peut-être neuf conseillers fédéraux n’aurait – n’en déplaise à Mme Klopfenstein-Broggini – en fait rien de fédéraliste.

Au contraire, réalisons concrètement ce qu’impliquerait la création de deux nouveaux départements, avec leur cortège de réorganisations immobilières, de mises en place de nouveaux secrétariats généraux et de nominations de secrétaires d’Etat. La présidence de la Confédération devrait voir ses compétences élargies pour faire face à de nouveaux besoins de coordination. Les conférences interdépartementales gagneraient en participants, leurs PV s’allongeraient, comme les délais de réponse. Les services centraux grossiraient à leur tour, avec de nouveaux répondants, de nouveaux stocks, de nouveaux systèmes informatiques. Mais il faut surtout imaginer les lois fédérales que ces nouveaux départements devraient rapidement inventer pour gagner en crédibilité et en raison d’être.

Une telle éruption créerait un verrou mental empêchant toute rétrocession de compétences aux Cantons. Elle serait surtout un prodigieux accélérateur de la centralisation et de la bureaucratie. Nous postulons – mais l’expérience Trump-Musk nous prouvera peut-être le contraire – que dégrossir une administration fédérale sans d’abord lui retirer des compétences politiques est illusoire.

Aujourd’hui, le nombre constitutionnellement limité des conseillers fédéraux, avec ou sans référence symbolique, nous apparaît comme un avertissement. Il est une limite humaine et personnelle imposée à l’aspiration des souverainetés cantonales et à la démesure étatique.

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