Places et jardins
Le plan de réaménagement de la place de la Gare de Lausanne fait l’unanimité. L’unanimité contre lui! Les taxis, les TL, les usagers pour la dépose rapide, même l’Etat de Vaud pour l’accès à la plateforme muséale: tous critiquent un projet qui complique ou ignore l’utilité pratique du lieu. Les seuls satisfaits en sont les auteurs, ces idéologues qui imaginent un endroit arborisé comme le veut la mode, piétonnier autant que possible et motorisé moins que nécessaire. Veulent-ils en faire un pseudo-square? Oublient-ils ce qu’est une place?
Dans toutes les villes dignes d’admiration, les places sont nues, minérales, souvent monumentales. Pas de verdure à la Place Vendôme ou à la Concorde. La pierre est reine à Rome, place Saint-Pierre, ou Piazza Navona, ou devant le Panthéon, ou au cercle de la Piazza del Popolo, ou au bas des gracieux escaliers de la place d’Espagne. Et le marbre de Saint-Marc à Venise! Et, à Sienne, l’amphithéâtre de la Piazza del Campo où nul végétal ne doit gêner le Palio! Et tant d’autres dans cette Italie si riche en beautés urbaines, à Turin, à Bologne, à Crémone, dans des dizaines d’autres cités où les places… laissent de la place!
L’Europe centrale n’est pas en reste, avec ses grandes aires baroques rectangulaires où rien n’arrête le regard jusqu’aux façades délicieusement ornées. Vous ne trouverez pas le moindre arbrisseau sur la place de la Vieille Ville – Staromestské Nàmesti – de Prague. Voyez encore les belles villes historiques de France, Nancy et sa place Stanislas, Toulouse et sa place du Capitole, Arras et sa Grand-Place et sa place des Héros. En Belgique, la Grand-Place de Bruxelles… On pourrait continuer l’énumération à longueur de colonnes.
La fonction d’une place citadine n’est pas de nourrir l’auto(?)-satisfaction des édiles rubeo-verdaches, mais d’offrir un lieu libre où puisse se déployer la vie de la cité: rassemblements populaires, parvis des cathédrales, approche des palais avec vue dégagée sur leur architecture, parades militaires et, plus civilement, marchés matinaux. Combien de places, dans l’espace germanique, portent des noms alimentaires: Getreidemarkt, Fischmarkt, Fleischmarkt… Et, dans notre siècle de moteurs, certains espaces sont inévitablement dévolus au trafic et au stationnement des transports publics et des véhicules privés. Devant les gares, les places garantissent (ou devraient garantir!) l’accès aux trains des voyageurs venus jusque là, en calèche autrefois, en voiture automobile aujourd’hui.
Il ne faut pas confondre les places et les jardins. Ceux-ci offrent une verdure reposante hors du trafic, pour le loisir, le jeu des enfants (ou la pétanque des adultes), la lecture sur un banc, l’admiration d’une floraison. Nulle part une place ne se déguise en parc. A Paris, la place des Vosges fait exception; du temps qu’elle s’appelait place Royale, elle était dégagée, sablée, propice aux cavalcades et aux tournois; elle a été arborisée à la fin du XVIIIe siècle; comme elle n’est pas en situation centrale, on peut admettre que son milieu soit devenu un square; on peut regretter toutefois que les arbres cachent partiellement l’admirable ordonnance des façades classiques. Ailleurs, les jardins sont des jardins: dans la capitale française celui des Tuileries ou le parc Monceau; à Londres, le Hyde Park ou le Regent’s Park; et à Vienne, sur l’espace des anciennes fortifications, le Burggarten avec la statue de François-Joseph fleurie chaque année à sa fête, le Volksgarten avec sa grande roseraie, le vaste Stadtpark avec son étang. Les prairies, les corolles et les frondaisons sont bienvenues en ville, mais pas au détriment des besoins de la vie urbaine.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Un nombre suffisant – Editorial, Félicien Monnier
- L’initiative Alberto Mocchi, un premier pas vers la défense de nos agriculteurs – Quentin Monnerat
- La corporation, la foi et le Parti libéral – Colin Schmutz
- Pour une transformation numérique souveraine – Marc-Olivier Busslinger
- Erratum – C.
- L’enfant philosophe – Olivier Delacrétaz
- Accomplir Gilles, sans musique… – S. Mercier & B. de Mestral
- L’ultime vallée – Jacques Perrin
- De la culpabilité morale de l’écomobilité – Le Coin du Ronchon