Deux Entretiens du mercredi sur les transports
Les 2 et 9 octobre derniers, les Entretiens du mercredi, bien connus de nos lecteurs, ont traité de questions de transports, publics et privés.
Transports publics
Le 2 octobre 2024, M. Gabriel Rosetti, responsable des projets de mobilité et de planification des transports au sein de la société Traject SA, à Renens, a présenté une conférence intitulée: «Transports publics: financement, évolution de la demande et perspectives de développement.»
L’orateur a commencé par quelques rappels historiques. L’horaire cadencé des Chemins de fer fédéraux (CFF) a été introduit en 1982, puis l’abonnement demi-tarif en 19871. Rail 2000 a été mis en service en 2004, puis les transversales alpines en 2020.
En 2023, les transports publics ont comptabilisé 613 millions de voyageurs. Le financement est assuré à moitié par les utilisateurs et à moitié par les collectivités publiques.
En Suisse romande, le transport individuel motorisé (TIM) représente 65% des déplacements, les transports publics 28%, et la «mobilité douce» 7%. La volonté politique est généralement d’augmenter l’attrait des transports publics, au détriment du TIM. Pour cela, il faut notamment améliorer l’offre des transports publics: augmenter les cadences, étendre les périodes d’utilisation et développer les infrastructures.
Une complication vient des relations entre la Suisse et l’Union européenne, cette dernière voulant libéraliser une partie des chemins de fer: des compagnies des pays voisins pourraient par exemple exploiter certaines lignes en Suisse, et vice versa. La Confédération et les CFF renâclent, le réseau suisse étant déjà surchargé.
Qui décide des développements ferroviaires en Suisse? C’est l’Office fédéral des transports (OFT), dont les compétences ont été étendues depuis l’approbation populaire du Fonds ferroviaire en 2014.
M. Rosetti nous a présenté deux exemples de projets à l’étude: le développement de la ligne Bière – Apples – Morges, ainsi que la création d’une nouvelle ligne entre Bex et Monthey.
Les perspectives à l’horizon 2050 sont floues. Les projets fédéraux manquent de cohérence. Ils ont été vertement critiqués par M. Benedikt Weibel, ancien directeur général des CFF entre 1993 et 2006.
Pour sa part, notre conférencier plaide pour une «croix fédérale de la mobilité» (nord-sud, est-ouest), reliée aux pays voisins, et il relève que le train est le plus performant sur les longues distances.
En conclusion, M. Rosetti souligne que la route et le rail sont complémentaires, et qu’il faut développer les deux moyens de transports. Il relève qu’il est illusoire de promettre des transports publics performants à chacun, et que la mobilité est onéreuse.
La conférence a suscité plusieurs questions et un débat nourri. A noter l’intervention remarquée de M. Daniel Mange, professeur honoraire à l’EPFL, pour qui «l’OFT a castré les CFF!», et qui note que le montant d’un milliard de francs par année pour les nouvelles infrastructures ferroviaires est tout à fait insuffisant.
Transports privés
Le 9 octobre 2024, Me Xavier de Haller, avocat, député au Grand Conseil et président de la section vaudoise de l’Automobile Club de Suisse (ACS), s’est exprimé à propos des «enjeux actuels et futurs de la politique routière vaudoise».
Le conférencier a évoqué d’abord la situation générale: les conflits internationaux mettent en péril les chaînes d’approvisionnement; la transition énergétique est nécessaire pour diminuer la pollution induite par les transports routiers. Pour assurer la prospérité du pays, il y a trois piliers principaux: la formation, la fiscalité et les infrastructures. Celles-ci sont essentielles pour assurer la mobilité, mais elles posent problème aujourd’hui en Suisse.
A l’horizon 2040, on s’attend à une croissance démographique et économique, à une diminution de la dépendance aux énergies fossiles, à une hausse de la mobilité, à une forte surcharge du réseau autoroutier près des agglomérations et à un report massif du trafic sur le réseau secondaire. C’est pourquoi il faut éliminer les goulets d’étranglement2.
Me de Haller souligne que les émissions de dioxyde de carbone (CO2) des véhicules par kilomètre parcouru ont nettement baissé ces trente dernières années3. Cela s’explique par le développement des voitures électriques ou hybrides, mais aussi par l’amélioration du rendement des moteurs thermiques.
L’orateur rappelle aussi le projet de résorption du goulet de Crissier4, qui a fait l’objet d’un accord des parties concernées (Office fédéral des routes – Etat de Vaud – communes de l’Ouest lausannois) en 2022, mais qui reste désespérément bloqué chez Mme Nuria Gorrite, conseillère d’Etat vaudoise en charge des transports.
Des mêmes services de Mme Gorrite émane un projet de révision de la loi vaudoise sur les routes, lancé en 2023, qui voudrait devenir une loi sur la mobilité, destinée principalement à limiter le transport individuel motorisé. Les milieux économiques de notre Canton ont d’ores et déjà manifesté leur opposition à ce projet.
Me de Haller conclut en soulignant qu’il faut garantir une mobilité efficace et adaptée aux besoins, assurer la multimodalité (libre choix du mode de transport) et réaliser dès que possible les projets d’infrastructures ferroviaires et routiers. Mais sur ces derniers, la volonté politique du Conseil d’Etat paraît sujette à caution.
Relevons un seul élément de la discussion nourrie qui a suivi l’exposé: comment maîtriser l’évolution démographique de la Suisse en général, et de l’Arc lémanique en particulier? Il n’existe pas de recette miracle…
Conclusion
L’auteur de ces lignes a trouvé beaucoup d’intérêt à assister à ces deux Entretiens du mercredi, consacrés aux questions si complexes des transports. Sans se concerter, les deux orateurs ont relevé à juste titre la complémentarité essentielle du rail et de la route. Cet aspect a malheureusement été oublié par une courte majorité du peuple suisse le 24 novembre dernier.
Notes:
1 Fr. 100.– par an à l’époque, fr. 170.– à fr. 190.– aujourd’hui.
2 A propos de la votation du 24 novembre 2024, voir notre article dans La Nation n° 2265 du 1er novembre 2024.
3 D’un indice 100 en 1990, on est passé à 61 en 2022, soit une baisse de 39%.
4 Deux autoroutes venant du nord (Vevey et Yverdon), et deux du sud (Morges et Lausanne-Maladière) se croisent à Crissier.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- La loi et le programme – Editorial, Olivier Klunge
- Entre nature et culture – Quentin Monnerat
- Jules Verne et la beauté de l’humanité – Lars Klawonn
- † Daniel Laufer – Olivier Delacrétaz
- Indéboulonnables? – Jean-François Cavin
- La toute-puissance et ses contrefaçons – Jacques Perrin
- COP: pour toi et surtout pour moi – Le Coin du Ronchon